Édouard Robin a soutenu sa thèse en sociologie le 5 juin 2023 à Université Paris Cité, sous la direction de Fabienne Hanique.
Résumé de thèse
Institution sociale majeure de notre société, le salariat représente encore aujourd’hui l’organisation prédominante des rapports de production et l’expérience quotidienne des individus au travail. De manière régulière, les sciences sociales interrogent et explorent ses principes et son fonctionnement, au regard de ses transformations et mutations. Depuis l’école durkheimienne jusqu’aux débats récents sur la valeur travail, la littérature a mis en lumière non seulement la centralité sociale du travail sous sa forme salariée, mais aussi les conséquences de la financiarisation du capitalisme et des doctrines et des pratiques managériales sur la relation salariale.
Cette thèse s’intéresse la relation salariale à partir d’un angle encore peu exploré : les usages de l’argent dans la relation salariale et la manière dont ils sont vécus par les salariés. J’aborde la relation salariale qui s’est construite sur le triptyque contribution, rétribution et subordination à l’occasion d’un moment particulier de la vie de l’entreprise et des salariés : la restructuration de l’organisation, les licenciements qui l’accompagnent et les dispositifs de gestion essentiellement monétaire.
Salarié pendant 4 ans d’une entreprise en restructuration, je construis mes analyses à partir d’une enquête en immersion, complétée par des entretiens individuels et collectifs avec des salariés. Confronté aux difficultés d’enquêter sur un objet aussi tabou que l’argent, j’adopte une approche sociologique et clinique qui me permet de mettre au travail les dimensions subjectives du rapport à l’argent et les défenses qui se manifestent. Je soutiens mes propos avec l’analyse de la place que j’occupe comme salarié, de la posture que je construis comme chercheur et de mon implication subjective dans cette recherche.
En me concentrant sur les usages sociaux et les représentations subjectives de l’argent, j’interroge donc le coeur de la relation salariale. Le principal intérêt de cette recherche est d’identifier des usages particuliers de l’argent, que j’appelle “extensifs”, qui dépassent le couple contribution/rétribution dans la relation entre employeurs et employés. Je caractérise ces usages par leurs finalités multiples : la pacification, l’incitation, la reconnaissance et la rétention. Face à ces usages, je montre comment les salariés, intériorisant les logiques gestionnaires dans lesquelles ils sont pris, développent des comportements ambivalents de calcul, d’optimisation et d’individualisation. Mais cette extension des usages de l’argent amène à faire éclater les représentations subjectives qu’ont les salariés de ces sommes. Ces représentations de l’argent varient : marque de chance ou de justice, parfois signe du mérite voire source de honte.
Ces usages “extensifs” et les représentations subjectives de l’argent associées éclairent sous un angle nouveau des modalités de reconfigurations du rapport au travail des salariés. L’argent en jeu dans la relation salariale participe, parfois de manière paradoxale, au renforcement de l’hétéronomie dans les organisations et au déploiement de processus de subjectivation au travail des salariés.
Mots-clés : salariat, argent, rapport au travail, restructuration, plan de sauvegarde de l’emploi, PSE, licenciements, rémunération, sociologie clinique