Soutenance de thèse: « Les gymners hypermodernes »

Quentin Froment soutiendra sa thèse en sociologie le mercredi 8 décembre 2021 à 14h30 dans la salle 115 du bâtiment Olympe de Gouge de l’Université de Paris,  8 rue Albert Einstein, Paris 13ème arrondissement, devant un jury composé de :

  • Fabienne Hanique, professeure à l’Université de Paris, présidente du jury
  • Vincent de Gaulejac, professeur émérite à l’Université de Paris, directeur
  • Teresa Carreitero, professeure à l’Université Fédérale Fluminense, Brésil, rapporteur
  • Bénédicte Vidaillet, professeure à l’Université Paris Est Créteil, rapporteur
  • Jean-Pierre Escriva, maître de conférences à l’Université de Poitiers, examinateur

La soutenance sera suivie d’un pot.

Pour y assister, contacter : quentin.froment@neuf.fr

Résumé de thèse

Ce travail de thèse porte sur l’émergence et l’attrait pour les activités physiques d’entretien et de développement personnel, regroupées sous l’appellation « Gym » en référence à l’emploi du mot aux Etats-Unis : musculation, running, cycling, fitness, yoga, stretching, pilates, zumba, body-pump, body-attack, gym tonic, abdos-fessiers, body-sculpt, body-combat, step, bootcamp, cross-fit, bodybalance, aquabiking, aquafitness notamment.

L’angle choisi pour comprendre l’émergence de ce phénomène social ne suit pas le sens commun qui attribue généralement l’éclosion de ces pratiques à un besoin de sport face à la progression d’une société de plus en plus sédentaire. Au contraire, il fait le lien entre la progression du Gym et une époque marquée par une société de plus en plus active, que certains chercheurs, comme Nicole Aubert (L’individu hypermoderne, 2006), ont qualifié d’hypermoderne.

Dans une société sous l’emprise de l’imaginaire performatif, se laisser-aller, ne rien faire, devient insupportable et dès lors il convient d’adopter un style de vie actif, d’être motivé et de se mettre constamment en projet, pour s’améliorer et progresser. Dans cette figure hypermoderne, la réalisation de soi ne peut passer que par la progression de soi et se rendre chaque jour meilleur que la veille. Le gymner hypermoderne se retrouve prisonnier d’une situation paradoxale dans laquelle il ne peut devenir libre qu’en s’assujettissant au modèle performatif.  Tant et si bien que même quand il cherche à se dégager de la performance, dans le monde professionnel notamment, qui ne fait plus sens pour lui, en critiquant les désastres humains (burn-out) et environnementaux engendrés, il ne se voit pas répéter ce modèle performatif dans sa vie personnelle alors qu’il pense construire son autonomie et sa liberté. C’est l’ensemble de son existence qui tombe sous l’emprise de l’optimisation, de l’efficacité et du rendement.

L’individu hypermoderne est un moderne avancé, dans le sens où il est pris d’une part entre un besoin d’autonomie, de se dégager de ce à quoi il est pris, la possibilité de devenir sujet, et d’autre part dans une « expansion illimitée d’une pseudo-maîtrise pseudo-rationnelle » (Castoriadis, 1997), assujetti à la performance et à l’idéologie du progrès, ne pouvant devenir libre que par la production et le rendement. La pratique du Gym porte cet enchevêtrement entre un désir de liberté, d’affirmation de soi, de besoin de prendre sa vie en main, et un besoin de continuer à vivre dans l’imaginaire performatif, dans lequel règne l’efficacité et l’optimisation. Le modèle performatif est tenace et profond dans le sens où il vient faire office de défense face au vide engendré par la Modernité (remise en cause de Dieu, individu perçu comme créateur et instituant de ses propres lois), générant de fortes angoisses auparavant compensées par l’outil religieux. La performance vient cacher une fragilité de l’individu hypermoderne, qui cherche à s’échapper des angoisses et du risque de dépression.

La performance est la partie ensoleillée d’un climat d’insécurité profonde et de forte vulnérabilité. Le dégagement et le cheminement dans une réelle autonomie est possible à partir de la compréhension de son emprise à la figure hypermoderne. Il s’agit de travailler cliniquement avec le domaine de l’inconscient, comprendre les enjeux profonds sous-jacents, et sortir d’une approche comportementale qui ne permet que de répéter le même modèle performatif sur une autre scène. En pensant devenir libre, en passant d’un état jugé passif à un état actif, le gymner hypermoderne ne fait que se réassujettir au même modèle dont il pense se dégager. Se laisser-aller, accepter de travailler ses angoisses et sa vulnérabilité, est un début de chemin, que j’ai expérimenté en tant que chercheur, et qui permet l’éclosion de cette thèse, dans un « devenir sujet ». Sans cette implication, cette thèse resterait sous l’emprise de la figure hypermoderne et ne permettrait pas un travail de recherche objectif.